Les Nuits d'été constituent un ensemble de six mélodies d'Hector Berlioz, sur des poèmes de Théophile Gautier extraits du recueil La Comédie de la mort paru en 1838.
Composées vers 1840, publiées en septembre 1841, ces mélodies sont d'abord destinées à une voix de mezzo-soprano ou de ténor, et accompagnées au piano.
La première audition de la quatrième mélodie, Absence, a lieu le dans la salle du Conservatoire, lors d'un concert organisé par le pianiste Henri-Louis-Stanislas Mortier de Fontaine et son épouse Marie-Josine Vanderperren.
Berlioz orchestre Absence en 1843, et l'ensemble des Nuits d'été en 1856. Certaines mélodies sont transposées pour différentes voix : mezzo-soprano, ténor, contralto et baryton. La majorité des interprétations modernes est assurée par un seul artiste lyrique.
Le compositeur ne présente que deux des mélodies en concert, toujours sous sa direction : Absence, le à Leipzig, interprétée par sa compagne Marie Recio et Le Spectre de la rose, le à Gotha, interprétée par Anna Bochkoltz-Falconi.
Avec La Captive et le cycle des Nuits d'été, Berlioz crée le genre de la mélodie avec ensemble instrumental qui se développe dès la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, en France — où s'illustrent notamment Duparc, Chausson, Ravel, Maurice Delage et André Jolivet — et en Europe, avec les cycles de Wagner, Mahler, Berg, Schönberg, Richard Strauss et Benjamin Britten.
Depuis le premier enregistrement des Nuits d'été dans leur intégralité, réalisé en 1951 par Suzanne Danco et l'orchestre symphonique de Cincinnati dirigé par Thor Johnson, les mélodies ont été chantées par de nombreux artistes, dont Régine Crespin, Janet Baker, Véronique Gens, et Ian Bostridge.
Berlioz considère Les Nuits d'été comme son « œuvre 7 », dans le catalogue établi pour les éditions Richault en 1852. Le recueil porte la référence H 81 dans le catalogue de ses œuvres établi par le musicologue Dallas Kern Holoman.
Genèse des Nuits d'été
Composition
Dans ses Mémoires, rédigés à partir de 1848, le compositeur résume son activité en peu de mots pour le début des années 1840 : en dehors d'une tournée de concerts en Europe centrale, de 1842C 1 à 1843C 2, « mon existence ne présente aucun événement musical digne d'être cité2 ». En commentaire de cette déclaration, Pierre Citron admet que, « si Berlioz donne fréquemment des concerts, il ne compose guère d'œuvres importantes entre la Symphonie funèbre et triomphale de 1840 et La Damnation de Faust de 1846 : seulement les mélodies des Nuits d'été (chant et piano) et les ouvertures du Carnaval romain (tirée de thèmes de Benvenuto Cellini) et de La Tour de Nice3 ».
Circonstances
Le premier biographe de Berlioz, Adolphe Boschot, en est réduit à parler d'« années mystérieuses4 » pour la période 1841-1842, dans son Histoire d'un romantique publiée en 1908. Quatre-vingt-dix ans plus tard, le musicologue américain Dallas Kern Holoman s'attache encore à suivre le compositeur dans ses « vagabondages5 » de 1840 à 1846. En fait, « Berlioz est plus actif que jamais6 » durant ces années, où Julian Rushton voit surtout une tentative de se relever de l'échec cuisant de Benvenuto Cellini à l'opéra-comique : la « Romance de Teresa », abandonnée dans l'opéra, est reconvertie en concertino pour violon intitulé Rêverie et caprice6, Le Carnaval romain reprend l'air de Cellini du premier tableau et la scène du carnaval au second tableau de l'acte I7. Rêverie et caprice est publiée la même année que Les Nuits d'été, son « œuvre 7 », en 18418. Les deux partitions pour orchestre sont retenues par le compositeur comme ses « œuvre 8 » et « œuvre 9 », succédant au recueil de mélodies dans le catalogue de ses œuvres établi en 18529.
La composition des Nuits d'été « ne peut être datée avec exactitude10 » mais s'étend sur les années 1840-1841, « la seule certitude concernant leur achèvement étant donnée par leur date de publication11 », « entre le milieu et la fin de l'étéB 1 », au plus tard au mois d'1. En composant ces mélodies, Berlioz renoue avec l'« intense poésie rêveuse et mélancolique » de La Captive12, sa première œuvre pour mezzo-soprano et orchestreC 3.
Inspirations
Cornélie Falcon.
(1814-1897).Rosine Stoltz.
(1815-1903).Pauline Viardot.
(1821-1910).
Les Nuits d'été sont composées à un moment de crise dans la vie amoureuse de BerliozB 2. Il a épousé l'actrice Harriet Smithson le C 4, leur fils Louis est né le C 5. Le couple paraît « heureux et très uniB 3 ». En réalité, Harriet connaît un déclin « lent, mais inexorable et irréversibleB 4 » pendant qu'une « nouvelle venue, avec une voix séduisante et l'ambition de briller à l'Opéra, entre en scène : Marie RecioB 5 ».
Bruno Messina trouve « tentant d'entendre » dans Les Nuits d'été « l'ambivalence des sentiments de Berlioz et quelques concordances biographiques », entre la culpabilité envers Harriet et l'espoir retrouvé avec Marie13. David Cairns s'y refuse catégoriquement : « Bien que Marie Recio ait été l'interprète la plus assidue d'Absence, on a peine à croire qu'elle ait été aucunement la source des Nuits d'été. Outre le fait qu'on préférerait ne pas voir en elle l'inspiratrice de ces merveilleuses mélodies d'amour, le thème du cycle — la perte — et l'intensité tragique de ses deux pièces centrales excluent certainement tout lien de ce genreB 6 ». Les dates concordent malC 6 et « elle ne lui permet même pas de les composer, comme Camille Mocke lui avait permis d'écrire la Fantastique en libérant Berlioz de l'effet paralysant de son obsession pour HarrietB 7 ».
Peter Bloom admet la possibilité que Les Nuits d'été représentent « un émouvant adieu à son épouse, Harriet Smithson, qui se montrait de plus en plus dépendante, lointaine, malade, frustrée, irritable, exigeante et amère14 ». Cependant, le musicologue américain propose une approche plus stimulante : « Comme Wagner tombant amoureux de Mathilde Wesendonck parce qu'il était obsédé par son projet de Tristan, Berlioz se serait tourné vers Marie qui pouvait alors apparaître, quoique brièvement, comme une âme sœur15 ». Enfin, « Les Nuits d'été, si éloquentes soient-elles, ne peuvent rien prouver. Une autre mélodie est plus éloquente : La Mort d'OphélieB 8 », Berlioz ayant toujours assimilé Harriet aux héroïnes de Shakespeare, « cette Juliette, cette Ophélie que mon cœur appelleB 9 ».
La composition semble avoir « jailli d'une profonde impression de désillusion et de chagrin. Pour autant, elle ne peut être un témoignage certain sur la vie privée ou l'état d'esprit du musicien à cette époque. Ce n'est pas ainsi que fonctionnaient ses processus créatifsB 10 ». Berlioz pouvait avoir « souhaité composer une œuvre pour une artiste lyrique qu'il admirait16 ». Le choix de la voix de mezzo-soprano est significatif. Dans l'entourage du compositeur, Rosine Stoltz « régnait à l'Opéra16 » et avait participé à la création de Benvenuto CelliniC 7. Leurs relations s'étaient refroidies par la suiteB 10. Pauline Viardot, qui montrera toujours « une haute opinion de Berlioz en tant qu'homme et en tant qu'artisteB 11 », est alors âgée de 19 ans et devait bientôt représenter « la mezzo-soprano idéale16 » et « une Cassandre admirable » pour Les TroyensB 12. Berlioz fondait encore de grands espoirs sur Cornélie Falcon17, qui avait donné la première audition publique de La Captive sous sa directionC 3. Après ces étoiles, Marie Recio, « la seconde épouse et la consolatrice des années difficiles » de Berlioz, « n'était pas la mauvaise chanteuse ni la mégère qu'ont décrit les biographes18 » mais paraît bien « médiocre19 ».
Orchestration
Berlioz « cherchait toujours à donner une nouvelle physionomie à son œuvre par l'extension des moyens. C'est ainsi qu'on connaît deux, parfois trois versions d'une même mélodie20 », aboutissant à une orchestration « avec cet art et ce luxe qui n'appartiennent qu'à lui21 » pour Les Nuits d'été, mais aussi La Belle Voyageuse, La Captive, Zaïde, Le Chasseur danois et Le Jeune Pâtre breton.
Le manuscrit de la version pour mezzo-soprano et orchestre d'Absence est daté avec précision, « orchestré à Dresde le et recopié à Brunswick le 22 ». Il faut pourtant attendre les années 1850 pour disposer de « la version orchestrale des Nuits d'été, l'une de ses partitions les plus belles et les plus fondamentales » selon David CairnsB 13.
En 1852, Berlioz semble avoir abandonné la compositionB 14 : il renonce à entreprendre une nouvelle symphonieC 8, établit le catalogue de ses œuvres pour les éditions RichaultB 15, et se concentre sur sa carrière de chef d'orchestreB 16. Franz Liszt le soutient en organisant des représentations de ses œuvres à WeimarC 9, dont Benvenuto CelliniB 17, sous sa propre directionC 10. Sur ses conseils, Berlioz retravaille son opéraC 11. Il dirige l'orchestre lorsque Liszt présente son Concerto pour piano no 1C 12 et remporte lui-même de véritables triomphesC 9. La première audition de La Fuite en Égypte, à LeipzigC 13, obtient un succès inattenduB 18 : Brahms « tombe amoureux de cette œuvreB 19 » et des copies de ses partitions circulent pour être traduites en allemand, dont La Captive et Les Nuits d'étéB 20.
Berlioz reprend confiance en lui, encouragé par le compositeur Peter Cornelius, un disciple de LisztB 21 qui a déjà traduit L'Enfance du Christ et Le Retour à la vie en 1855B 22. Cornelius devient l'un des plus fervents admirateursB 23 et « l'un des rares disciples directs de Berlioz23 », qui lui témoigne une grande reconnaissanceB 24.
C'est donc pour accompagner une audition intégrale de L'Enfance du Christ, à GothaB 25, que Berlioz réalise l'orchestration du Spectre de la rose, au début de l'année 1856C 14. Dans l'assistance, aux côtés de LisztC 15, Cornelius convainc le jeune éditeur suisse Jakob Melchior Rieter-Biedermann de Winterthour de commander une version orchestrale de tout le cycleB 26. Un mois plus tard, de retour à Paris, Berlioz a terminé cette orchestrationC 15.
Au début du mois d', aussitôt après l'envoi de la partition à son éditeurB 27, il entreprend « la composition proprement dite des TroyensC 16 ». Le livret est achevé à la fin du mois de juin, mais le duo de l'acte IV « Nuit d'ivresse et d'extase infinie » a été composé dès le début du moisC 17. La composition de cet opéra, de 1856 à 1858B 28, marque le retour de son « exubérance créatriceB 29 » et offre une synthèse de toute son œuvre :
« Les Troyens allient l'énergie électrique de la Fantastique, les visions tragiques du Requiem, la tristesse et la beauté sensuelle de Roméo et Juliette, la grandeur massive du Te Deum, la simplicité archaïque et la douceur de L'Enfance du Christ, le raffinement des Nuits d'étéB 30. »
Publication
L'éditeur Catelin publie Les Nuits d'été pour chant (mezzo-soprano ou ténor) et piano en septembre 1841C 6. Comme à son habitude, Berlioz avait pris soin d'en faire l'annonce dans la Revue et gazette musicale de Paris, le C 18. Elles sont annoncées dans l'Allgemeine musikalische Zeitung, en tant que Gesänge (balladenartig) (« Chansons en forme de ballades »), le 24. Dallas Kern Holoman n'en déplore pas moins une publication « sans fanfare : les mélodies ne furent pas interprétées en public et, en dehors d'un article de critique, passèrent inaperçues25 ».
De fait, cet article « très favorable26 » est du pianiste et compositeur Stephen Heller, « un ami et un esprit frère » de BerliozB 31 :
« On peut affirmer qu'aucun autre compositeur ne travaille avec des idées plus indépendantes et un plus noble désintéressement. Rien lui serait-il plus facile, en effet, que d'écrire aussi de ces mélodies fades et parfumées, telles que les recherchent les chanteurs à la mode et leur fashionable clientèle. Mais jamais Berlioz n'a voulu déshonorer son art27. »
Joseph d'Ortigue leur consacre un article un peu ironique28 dans le Journal des débats, en 1852, à l'occasion de la publication de Tristia28 :
« — Comment ! diront quelques-uns, M. Berlioz a donc fait des mélodies ? C'est fort singulier ! Et nous qui pensions que ce compositeur ne pouvait marcher qu'avec une armée de trombones, de timbales, de grosses caisses, qu'avec toute l'artillerie de Sax !…
— Oui, Messieurs, M. Berlioz a composé des mélodies, des romances même […] Ce sont des chants suaves, purs, tendres, fiers ou mélancoliques, qui expriment avec noblesse et vérité une certaine situation de l'âme29. »
En 1857, le compositeur fait insérer dans la Revue et gazette musicale un article du Signale für die musikalische Welt de Leipzig, pour rendre compte de la traduction des Nuits d'été par Peter Cornelius et suggérer « de quelle manière sa musique est appréciée en Allemagne30 ». Yves Gérard en conclut que « les critiques remarquèrent l'ouvrage, les chanteurs pas du tout12 ».
Les mélodies des Nuits d'été sont les six premières pièces dans la Collection de 32 mélodies que Berlioz fait publier par les éditions RichaultB 32 en 1863C 19. Ces publications sont « malheureusement peu élégantes, sans portrait gravé de l'auteur ni vignettes lithographiées31 ». En 1881, l'éditeur Novello & Co publie les Nuits d'été en anglais, traduits par Francis Hueffer32.
Présentation
Poésie
Choix des poèmes
Le recueil de Théophile Gautier intitulé La Comédie de la mort est publié en février 1838C 20. Berlioz « ne pouvait manquer d'être attiré par l'ironie d'un tel titre33 ». Le poète et le musicien sont alors très proches, en tant que journalistes, « l'un et l'autre trouvant la critique, littéraire ou musicale, pénible tout en portant le genre vers de nouveaux degrés de perfection34 ».
Lors de la première audition, triomphaleB 33, de Roméo et Juliette en 1839, Gautier avait loué le compositeur pour avoir « donné une âme à chaque instrument de l'orchestreB 34 ». Cependant, l'auteur d'Émaux et Camées ne montrait pas de grandes dispositions musicales20 : « On peut se demander si Gautier était satisfait de la transposition dramatique que donna Berlioz d'un poème précieux comme Le Spectre de la Rose. Le silence du poète quant à ses « vers musiqués » est sans doute significatif35 ». De fait, « on ne peut guère parler de collaboration », d'autant moins que Gautier quitte Paris pour l'Espagne en mai 184036. Il défendait le compositeur37 « peut-être sans bien comprendre sa musique38 » et, « dans les quelques pages qu'il consacre à Berlioz, il ne sort pas de la banalité39 ».
Berlioz « comptait beaucoup d'écrivains romantiques parmi ses amis. Tous étaient favorables aux tendances artistiques de son œuvre, mais peu d'entre eux goûtaient sa musique40 ». Les Nuits d'été ne sont pas le seul hommage rendu à Gautier : Les Grotesques de la musique, ouvrage de critique musicale publié en 1859, empruntent leur titre aux Grotesques, recueil paru en 184441. De son côté, Gautier se montrait remarquablement souple vis-à-vis des musiciens42 :
« Agissez à votre aise avec ma poésie. Si quelque chose vous gêne, je le changerai. Je vous l'envoie de deux manières : avec refrain et sans refrain. Choisissez. Écrivez-moi si vous avez quelque idée particulière où ma poésie puisse s'adapter43. »
Ainsi, Berlioz « s'autorise quelques libertés » avec les poèmes dont « il change certains titres, avec beaucoup de tact, et s'affranchit des références musicales qui le gênent : « Barcarolle » devient L'Île inconnue, et la « Villanelle rythmique » Villanelle. Les deux « Lamentos » de Gautier sont rebaptisés et sous-titrés : Au cimetière. Clair de lune et Sur les lagunes. Lamento44 ».
Élisabeth Brisson devine dans le choix des poèmes par Berlioz « une autre exigence : celle d'un créateur qui admire Beethoven et qui s'y réfère en s'inspirant du cycle des six Lieder regroupés sous le titre An die ferne Geliebte (« À la bien-aimée lointaine »), édité sous le numéro d'op. 98 en 1816. Beethoven y chante le pouvoir que possède la musique de lier et de relier les cœurs par-delà toute distance ou toute forme de séparation45 ».
Claude Ballif convient que « certaines de ces mélodies (Villanelle, Absence) obéissent à la formule à reprise et à couplets. Qu'importe ? Schubert, en l'utilisant presque systématiquement dans son Voyage d'hiver, n'a-t-il pas laissé une œuvre extraordinaire ? Dans Les Nuits d'été, Berlioz est aussi extraordinaire par l'équilibre plastique de la mélodie chargée du texte et de l'accompagnement libéré de ses servitudes46 ».
Choix du titre
Le titre du recueil pourrait faire allusion au Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare, l'un des auteurs favoris de Berlioznote 2. Élisabeth Brisson suggère « un enchaînement de métonymies » dans le choix de ce titre : « Berlioz se place délibérément du côté du rêve, du songe, de l'impossible, et du côté de la liberté amoureuse. Or, par une autre métonymie, le songe rappelle le « Songe d'une nuit de sabbat », titre du dernier mouvement de la Symphonie fantastique, lui-même associé à deux autres sources majeures : le poème de Victor Hugo La Ronde de sabbat, des Odes et Ballades, et la fameuse scène du Faust de Goethe45 ».
Gautier avait mis en épigraphe de ses Poésies, publiées en 183048, un vers extrait de L'andalouse d'Alfred de Musset49, poème mis en musique par Hippolyte Monpou50 :
Dans un article de 1835, Berlioz rend compte d'un concert d'anciens étudiants d'Alexandre-Étienne Choron et distingue « cette délicieuse harmonie, pure, calme et sereine comme une nuit d'été48 ». Peter Bloom considère ainsi que le titre s'est proposé naturellement à son auteur pour « son caractère euphonique bien approprié au thème des amours mélancoliques qui parcourt ces poèmes51 ».
Michel Guiomar cite La Nuit d'été d'Yves Bonnefoy, en exergue de son analyse du cycle de mélodies :
Qui parle là, si près de nous bien qu'invisible ?
Qui marche là, dans l'éblouissement mais sans visage52 ?
Mélodies et dédicaces
Dans sa version initiale pour chant et piano, dédiée à Louise BertinB 35 — compositriceB 36 et fille de Louis-François Bertin, le directeur du Journal des débats qui emploie Berlioz comme critique musicalB 37 et meurt l'année de publication de la partitionB 38 — Les Nuits d'été comprennent six mélodies :
- « Villanelle » — Allegretto ( = 96) de 131 mesures en la majeur, à
; - « Le Spectre de la rose » — Adagio un poco lento et dolce assai ( = 96) de 58 mesures en ré majeur, à
; - « Sur les lagunes. Lamento » — Andantino ( = 138) de 116 mesures en sol mineur, à
; - « Absence » — Adagio ( = 44) de 67 mesures en fa dièse majeur, à
; - « Au cimetière. Clair de lune » — Andantino ma non troppo lento ( = 88) de 156 mesures en ré majeur, à
; - « L'Île inconnue » — Allegro spiritoso ( = 96) de 135 mesures en fa majeur, à
.
La version définitive, pour chant et orchestre, apporte quelques modifications et les dédicaces de chaque mélodie :
- « Villanelle » — à Mlle Wolf, de la cour grand-ducale de Weimar ;
- « Le Spectre de la rose », transposé en si majeur, avec 8 mesures de prélude orchestral — à Mlle Falconi, de la cour grand-ducale de Gotha ;
- « Sur les lagunes. Lamento », transposé en fa mineur — à M. Milde, de la cour grand-ducale de Weimar ;
- « Absence » — à Mme Nottès, de la cour royale de Hanovre ;
- « Au cimetière. Clair de lune » — à M. Caspari, de la cour grand-ducale de Weimar ;
- « L'Île inconnue » — à Mme Milde, de la cour grand-ducale de Weimar.
Berlioz avait découvert en Madeleine Nottès « enfin une bonne Marguerite53 », et l'avait dirigée dans les 3e et 4e parties de La Damnation de Faust, le à HanovreC 13. Rosa von Milde avait interprété le rôle d'Ascanio dans Benvenuto Cellini à Weimar54, en 1852, sous la direction de LisztC 10. Berlioz la tenait en très haute estime, notamment dans le rôle-titre d'Alceste55 et celui d'Elisabeth dans Tannhäuser56. Son époux Feodor von Milde, Louise Wolf et Friedrich Caspari avaient également interprété sa musique56.
La durée d'exécution du cycle complet est d'environ 30 minutes57. Hugh Macdonald observe que Villanelle, Le Spectre de la rose et Absence « sont généralement interprétées sur un tempo plus rapide58 » que celui indiqué dans la partition par un compositeur qui recommandait l'usage du métronome59. En effet, Berlioz « spécifie méticuleusement toutes les nuances de l'interprétation60 ».
Musique
Tessitures
Les Nuits d'été témoignent des choix esthétiques du compositeur, « à commencer par le type de voix requis, où dominent à parts égales le mezzo féminin — autrement dit, un timbre aigu dans une tessiture grave — et le ténor mixte, apte aux notes aiguës en « voix de tête », à la fois léger et charnu : on sait le dégoût de Berlioz pour les exploits poitrinaires et les monstruosités vocales61 ».
Tessitures des Nuits d'été | |||||
Villanelle | Le Spectre de la rose | Sur les lagunesnote 3 | Absence | Au cimetière | L'île inconnue |
mezzo-soprano | mezzo-soprano | mezzo-soprano | mezzo-soprano | ||
ténor | ténor | ténor | ténor | ||
contralto | contralto | ||||
baryton |
Les Nuits d'été sont « généralement chantées par des sopranos qui transposent les no 2 et 3 dans leurs tonalités de 1841, avec un résultat dérangeant pour tout l'accompagnement orchestral62 ».
La répartition des mélodies sur plusieurs voix permet de mieux exprimer « la gaîté de la Villanelle, le rayonnement ample et rêveur du Spectre de la rose, les élans passionnés de Sur les lagunes et la subtile intensité intérieure d'Absence, le bruit de pas hypnotique d'Au cimetière et l'exubérance piquante de L'Île inconnue. Une voix de baryton fait mieux ressortir les couleurs sombres du lamento Sur les lagunes, et le climat de transe d'Au cimetière n'est réalisé pleinement que par une voix de ténor, une octave au-dessous d'une voix féminine63 ».
Piano
Dans Les Nuits d'été, « le traitement que Berlioz réserve au piano contredit bien des idées relatives à son peu de science de l'instrument. S'il n'a pas reçu une formation de pianiste et ne compose pas au clavier, il écrit pour le piano comme pour tout autre instrument, privilégiant le timbre avec ce savoir, cette imagination et ce tempérament qui lui sont irréductibles64 ». À propos de la version initiale des six mélodies, Gérard Condé estime que, « sans remettre en question l'extraordinaire réussite de la version orchestrale, l'originalité dont fait preuve Berlioz ici dans le traitement du piano ne paraît pas moins saisissante64 ». Plus précisément, « l'écriture pianistique est déjà si éloignée des formules habituelles qu'on peut presque parler d'une orchestration en noir et blanc65 ».
L'épitaphe du Spectre de la rose, où le chant est accompagné à la tierce supérieure66, « surpasse tout : le piano devient une seconde voix, sans accompagnement et, comme dans un duo d'amour, les voix se croisent. L'effet est encore plus inouï que dans la version orchestrale65 ».
Cette « délicatesse de l'ambiguïté » dans l'écriture annonce « le forte con sordina de Fauré ou le pianissimo sonore d'Albéniz analysés par Vladimir Jankélévitch67 ».
Orchestre
Dans son Traité de l'orchestration, Charles Koechlin admet que « la couleur tient beaucoup à la musique elle-même et point seulement à l'orchestration proprement dite. Il est certain qu'au piano déjà, Carmen est une œuvre hautement colorée ». Cependant « cette juste adaptation des moyens orchestraux à l'idée musicale est sans doute un don que tout le monde ne possède pas. Un autre que Berlioz eût-il trouvé l'étonnant (et si simple) début de la Marche au supplice ? Bizet peut-être, ou Stravinsky. Sûrement pas X ou Y, excellents musiciens, mais qui n'ont pas le génie de l'orchestration68 ».
L'instrumentation est différente pour chaque mélodie des Nuits d'été62, et Anthony Girard relève le fait que les effectifs ne sont jamais employés au complet69 : les cors n'interviennent pas dans la première mélodie, dont l'accompagnement est d'abord confié aux seuls instruments à vent ; les bassons se taisent dans la seconde et la quatrième, le hautbois dans la troisième ; Au cimetière n'est accompagné que par les flûtes, les clarinettes et les cordes avec sourdine70. Enfin, la harpe est réservée au seul Spectre de la rose, comme les deux harpes de la Symphonie fantastique n'intervenaient que dans Le Bal71.
Les instruments à cordes comptent 10 premiers violons, 10 seconds violons, 8 altos, 8 violoncelles et 6 contrebasses72. Les clarinettes et les cors, instruments transpositeurs, sont écrits avec différentes clefs, adaptées à la tonalité de chaque mélodie73.
Instrumentation des Nuits d'été | |||||
Villanelle | Le Spectre de la rose | Sur les lagunes | Absence | Au cimetière | L'île inconnue |
2 flûtes | 2 flûtes | 2 flûtes | 2 flûtes | 2 flûtes | 2 flûtes |
Hautbois | hautbois | hautbois | Hautbois | ||
2 clarinettes en la | 2 clarinettes en la | 2 clarinettes en si | 2 clarinettes en la | 2 clarinettes en la | 2 clarinettes en si |
Basson | 2 bassons | 2 bassons | |||
2 cors en mi | cor en ut grave cor en fa grave | cor en la (alto) cor en ré | cor en fa cor en ut cor en si | ||
Harpe | |||||
1ers violons | 1ers violons | 1ers violons | 1ers violons | 1ers violons | 1ers violons |
2ds violons | 2ds violons | 2ds violons | 2ds violons | 2ds violons | 2ds violons |
Altos | altos | altos | altos | altos | altos |
Violoncelles | violoncelles | violoncelles | violoncelles | violoncelles | violoncelles |
Contrebasses | contrebasses | contrebasses | contrebasses | contrebasses | contrebasses |
La voix « n'est jamais noyée dans le flot instrumental. Le registre employé est toujours bien dégagé. À l'inverse de Wagner, Berlioz fait chanter les instruments comme des voix alors que la partie vocale n'imite pas le style instrumental74 ». Les Nuits d'été offrent ainsi « un exemple accompli d'orchestration avec voix, un miracle de simplicité » selon Anthony Girard, mais aussi une démonstration qu'« à l'orchestre on peut aussi obtenir beaucoup avec très peu — beaucoup de mystère, une grande émotion69 ».
Parcours des Nuits d'été
Le critique du Signale für die musikalische Welt renonce, en 1857, « à faire une analyse détaillée de la musique : il faut l'entendre et non la décrire75 ».
I. Villanelle
Cette mélodie est « la seule à respecter la structure en trois strophes » du poème de Gautier76. La voix « repose d'abord sur le staccato des instruments à vent, comme au début des Troyens65 ». Cependant, chaque strophe s'enrichit « de contre-chants évocateurs, modulations et harmonisations nouvelles pour former une progression discrète mais sensible65 ». La texture de l'accompagnement, sous « le seul poème du cycle qui envisage le bonheur de l'amour77 », exprime « la fragilité aussi bien que la fraîcheur78 ».
Le chant est « alerte et léger soutenu par des accords sémillants, pleins de tournures harmoniques surprenantes, sans la moindre trace de bizarrerie ou d'exaltation. Des imitations jaillissent naturellement de la ligne mélodique et soudent l'accompagnement à la partie vocale79 ».
Berlioz remplace ainsi « le fa des strophes no 1 et 3 par un fa , sur le mot amours. Dans le contexte chromatique de la mélodie, cette touche diatonique apporte une nuance expressive76 » :
L'instrumentation souligne la « malice primesautière » du poème en accompagnant la fin de chaque strophe par un appel ascendant du basson, dans son registre « avantageux et sûr de soi80 », un ton puis un demi-ton plus haut chaque fois65, en revenant toujours à la tonique (La) :
II. Le Spectre de la rose
Cette mélodie est plutôt « un grand air lyrique, proche des plus beaux airs de Bellini, dont la tension ne se relâche nulle part77 », et qui « ne recule ni devant tel saut d'octave théâtral, ni devant un cantabile passionné, ni enfin face aux contrastes d'intensité qui vont jusqu'au pianissimo81 ».
La phrase « confiée à une flûte et une clarinette à l'octave, est un trait caractéristique » rappelant le début de la Symphonie fantastique82.
Sur le poème de Gautier, « un peu recherché, sur ces vers précieux », Berlioz compose « une scène tragique : le ton pathétique du prélude et l'enchaînement d'accords de septième diminuée, descendant par demi-tons et modulant d'ut dièse mineur à si majeur montrent à quel point le musicien a « dramatisé » ce texte83 ». L'évocation du De profundis motive une « cadence plagale sous un pseudo-plain-chant65 ».
La tonalité de si majeur est très favorable pour la harpe, naturellement accordée en do bémol : « dans Le Spectre de la rose, la partie de harpe est notée en si majeur. Dans l'acte IV des Troyens, elle est notée en do bémol majeur84 ». Ce trémolo aigu est rare dans l'œuvre de Berlioz85.
En 1911, Michel Fokine réalise la chorégraphie d'un ballet portant le même titre que cette mélodie, mais sur l'Invitation à la danse de Weber dans l'orchestration de Berlioz86.
III. Sur les lagunes
La mélodie est dominée par l'appel du cor, sur un intervalle de seconde mineure présent dans d'autres partitions de Berlioz : l'Offertoire du RequiemB 7, où il énonce « le cri immémorial, fragmentaire, inchangé des âmes du purgatoireA 1 », et la scène de L'Arrivée à Saïs dans L'Enfance du Christ, où il exprime la détresse de Joseph et de MarieB 39.
Cette « sombre lamentation » propage « des ondes de douleur sur la surface lisse du portA 2 ». Et le motif reparaît « en toutes sortes de variantes » dans les deux lamentos, intervenant « comme appogiature dans Au cimetière87 ».
Le poème de Gautier reprend et traduit le refrain d'une chanson vénitienne88 :
Ah ! senza amare | Ah ! sans amour |
Ce refrain suit une ligne vocale descendante, où le musicien joue « des gracieuses assonances et allitérations : sans amour / s'en aller, sort amer / sur la mer89 ».
Le lyrisme de la mélodie « se traduit par le très large ambitus vocal, une déclamation passionnée, le chromatisme de la partie centrale en sol mineur et l'étrangeté, proche de l'égarement, de la coda86 ». Le soupir, « encore un ajout du compositeur, lui donne un accent dramatique parfaitement approprié90 ». Cette fin ouverte, « cette ambiguïté pourrait avoir inspiré à Mahler l'exquise conclusion du mouvement lent de sa Symphonie no 4, à la fois expressive et vague, son message pouvant être aussi bien d'espoir ou de désespoir88 ».
IV. Absence
Cette mélodie est écrite dans la tonalité de fa dièse majeur — tonalité rare, considérée comme « brillante91 » mais « très difficile » pour les instruments à cordes92,93. La mélodie n'en est pas moins « assez simple de conception. Avec ce chant noble et poétique, en forme classique de rondo, Berlioz réussit à charmer jusqu'au public de 184094 ».
Le thème de l'absence, que David Cairns nomme le mal de l'isolement est « un malaise typique des romantiquesA 3 ». Berlioz, dans un souvenir d'enfance décrivant l'une de ses premières émotions musicales, se retrouve « luttant contre l'absence, contre l'horrible isolementA 4 ». L'adagio de la Symphonie fantastique évoque également « l'amour en l'absence de l'être qu'il demande à toute la natureA 5 ».
La sensible (mi ) provoque une dissonance insistante dans le refrain du poème, « déchirante, d'une douleur navrée95 ». Les cordes sont divisées pour accompagner cette quarte ascendante : « les premiers violons en quatre parties, les seconds violons et les altos en deux96 ». L'étirement du mot « aimée » paraît « fâcheux. Il est clair que la logique et la beauté de la courbe musicale, et le juste poids de l'accent expressif, importent avant tout au compositeur, ce qui justifie de telles entorses et les rend presque insensibles44 ».
Malgré les « fautes » relevées par Henri Woollett dans les œuvres de Berlioz, Gounod, Fauré, Charpentier et Debussy, « compositeurs tous connus pour la correction de leur prosodie97 », Absence respecte ses principes stricts de détente98, « sinon dans la mélodie, du moins dans l'harmonie : l'accord de septième de dominante se résout dans l'accord tonique99 ». Les points d'orgue et les silences ont, « plus que partout ailleurs dans le cycle, une fonction dramatique d'une exceptionnelle intensité95 ».
Le refrain « cadentiel, affirmatif, n'a rien qui suggère le désespoir. Le mode mineur n'apparaît que dans les couplets100 », avec « un des très beaux thèmes berlioziens101 ».
Gérard Condé rapproche cette mélodie de l'air « J'ai perdu mon Eurydice » d'Orphée et Eurydice de Gluck, l'un des opéras préférés de BerliozB 40, qu'il fait reprendre au Théâtre-Lyrique en 1859, avec Pauline ViardotB 11. Pour l'appel initial d'Absence, le compositeur a repris l'esquisse d'une cantate laissée inachevée en 1838102, où se trouvait l'air « Reviens, reviens, sublime Orphée100 ».
V. Au cimetière
La prosodie de cette mélodie est « très osée », à l'égard du poème de Gautier, « brise la régularité périodique et parfois il semble que la ligne vocale jaillisse des tensions harmoniques103 ». Le chant, « très expressif, use largement du récitatif, du chromatisme et de l'ambiguïté modale pour exhaler une douce plainte, dans une immobilité vocale qui confine au recto tono et lui donne quelque chose de religieux104 ». La ligne vocale est accompagnée de contre-chants des flûtes, « absents de la partition pour piano, comme une libre réponse qui la prolonge vers l'aigu105 ».
L'apparition du fantôme est accompagnée par les harmoniques de deux violons et d'un alto : Berlioz les avait employés dans le Scherzo de la reine Mab et les reprend pour la scène des spectres dans l'acte V des Troyens106. Au cimetière est la seule partition où il écrit des harmoniques pour l'alto107 : « Tous les instruments sont solistes pour obtenir un effet de mystère, d'espace et de lointain108 ».
John Eliot Gardiner compare « la résolution harmonique ambiguë de sol vers fa , et réciproquement, sous les mots passe, passe » avec « l'emploi réitéré que fait Bach de la dissonance mi-fa pour exprimer la servitude de la mort » dans la cantate Christ lag in Todesbanden109 (« Le Christ gisait dans les liens de la mort », BWV 4) : « Berlioz dépeint la mort comme un événement étrangement voluptueux110 ».
L'harmonie entretient « des frictions singulières jusqu'à l'accord final, avec sixte mineure ajoutée, d'une audace inouïe111 ». Hugh Macdonald attribue le « caractère désespéré » de cette conclusion à la présence des notes graves des clarinettes107. Anthony Girard montre comment « ce si , subtile dissonance plaintive, est d'un timbre délicatement voilé, proche de la voix chantée dans cette nuance et s'éloignant mystérieusement pour aboutir dans la nuance sur une quinte où l'on perçoit, doublant les violoncelles, le ré grave du « chalumeau », note à la fois ronde et douce112 ».
VI. L'Île inconnue
Cette mélodie, « avec son départ sur la quarte et sixte, est explicitement conclusive100 », et « la pédale de dominante donne une véritable ouverture sur l'espace77 ». Le chant est accompagné par un trait dynamique en doubles croches, aux bassons et aux violoncelles à l'unisson113, sur un tempo « alerte et un dessin descendant qui met en exergue le caractère spirituel et gai, enjoué même, parfois mutin, de cette pièce114 » : « Au lieu des lignes mélodiques ascendantes de la Villanelle, un hexacorde descendant joue un grand rôle et dans le chant et dans l'accompagnement115 ».
Cette invitation, « d'une qualité plus superficielle » selon Henry Barraud116 mais « d'un style plus large et plus symphonique117 », déploie un exotisme dont le goût remonte à l'enfance du musicien118 : « Les visions de lointaines contrées y sont chantées, les horizons qui courent de la Scandinavie à Java, de la Baltique au Pacifique119 ».
Les clarinettes « gloussent derrière les désillusions cruelles de la jeune belle120 », apportant un « commentaire digne des follets de La Damnation de Faust77 ». Cependant, « la douloureuse phrase des instruments à cordes laisse deviner la nostalgie de sa plainte sous les ricanements des vents121 ». Dominique Catteau rapproche le message de cette mélodie et celui de Béatrice et Bénédict122 : « Berlioz savait que l'amour pur n'est qu'une chimère, quand l'amour réel reste si proche du combat et de la haine. L'amour éternel n'existe pas ni ne sauve personne, au contraire, étant mortel lui-même aux deux sens du terme. Il faudrait encore savoir de quoi l'amour devrait nous sauver123 ».
Réception
Création et concerts
Deux mélodies, Absence et Le Spectre de la rose, sont annoncées pour le huitième concert de la Revue et gazette musicale de Paris, le « mais, semble-t-il, non exécutéesC 21 ». La première audition d'Absence a lieu le dans la salle du Conservatoire, lors d'un concert organisé par le pianiste Henri-Louis-Stanislas Mortier de Fontaine et son épouse Marie-Josine Vanderperren26, où Berlioz dirige également des œuvres d'Arcadelt, Mozart, Beethoven et le Concerto pour piano no 1 de MendelssohnC 22.
Le , Marie Recio interprète Absence pour la première fois, dans un concert donné à Weimar, où le compositeur dirige également la Symphonie fantastique, la « Marche de Pèlerins » d'Harold en Italie et l'ouverture des Francs-juges. Il s'agit toujours de la version pour chant et pianoC 23.
Cette mélodie, orchestrée le à DresdeC 24, est présentée lors d'un concert « au bénéfice des pauvres », le à Leipzig, parmi des extraits de différentes œuvres symphoniques de Berlioz, dont l'Offertoire du Requiem. Le concert obtient un grand succès public : Marie Recio est bisséeC 24.
Par la suite, elle interprète régulièrement Absence, parmi d'autres mélodies de Berlioz, dans les concerts qui se succèdent de manière rapprochée : le à BrunswickC 24, le à HambourgC 25, le et le à Berlin, en présence du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, revenu spécialement de voyage pour assister à ce dernier concertC 25, le à HanovreC 25 et le à DarmstadtC 25, soit quatorze concerts et quarante-trois répétitions en cinq mois dans les différents royaumes et grands-duchés allemandsC 25.
La première audition parisienne d'Absence a lieu le , lors d'un concert organisé par le compositeur dans la salle du ConservatoireC 26. Il s'agit également de la première audition avec ténor, Berlioz ayant confié la mélodie à Gilbert Duprez, qui avait créé le rôle-titre de Benvenuto Cellini cinq ans plus tôtnote 4. À Paris, Marie Recio interprète encore Absence le , dans un concert où Le Carnaval romain est présenté en première audition et immédiatement bisséC 27. À partir du mois de mai, Berlioz vit en couple avec elle, au 41 rue de ProvenceC 28. La dernière apparition de la chanteuse en public a lieu à Marseille, où Absence est présenté au Grand théâtre le C 29. D'après le critique du Sémaphore, Marie Recio souffre alors d'« un trac insurmontableB 41 ». Le public se montre tièdeB 41, et elle s'abstient de chanter lors du second concert, prévu pour le C 29.
Berlioz lui-même ne revient à cette mélodie que pour un concert au Hanover Square Rooms de Londres, le en matinée, présentant modestement son œuvre au public anglais entre Les Créatures de Prométhée de Beethoven et la Marche nuptiale du Songe d'une nuit d'été de MendelssohnC 11.
La première audition du Spectre de la rose, orchestré à Paris en décembre 1855 et C 14, a lieu au théâtre ducal de Gotha le , avec la contralto Anna Bochkoltz-Falconinote 5,124 dans un concert où Berlioz dirige également L'Enfance du ChristC 15. La mélodie n'est présentée à Paris que le , à la salle Herz, toujours par Mme FalconiC 30, puis le à Baden-Baden, devant un public brillantC 31 pour lequel le compositeur a emmené lui-même cinquante musiciens en train jusqu'à Karlsruhe afin d'assurer la dernière répétitionC 32.
Réminiscences personnelles
La forme « peu usitée du cycle avec orchestre » pose problème : « Berlioz ne le risqua jamais en concert et ne l'entendit jamais intégralement125 ». Considérant ses deux cycles, Irlande et Les Nuits d'été, il recommande à son ami Joseph d'Ortigue de leur consacrer un article dans le Journal des débats, en 1852126 :
« Je veux seulement qu'on sache qu'ils existent, que ce n'est point de la musique de pacotille, que je n'ai point en vue la vente et qu'il faut être musicien et chanteur et pianiste consommé pour rendre fidèlement ces petites compositions. »
Berlioz semble avoir conservé une prédilection127 et un souvenir ému de ses Nuits d'été. Apprenant la mort de son fils Louis à La Havane, le — la nouvelle lui parvient le C 33 — le compositeur désespéré s'écrie « C'était à moi de mourirB 42 », et Adolphe Jullien cite précisément ses lamentations « Ne pouvais-tu donc pas m'attendre128 ? » qui semblent « presque un écho inconscient de Sur les lagunes : « Sans m'attendre elle s'en retourna »B 43 ».
À l'occasion d'une visite chez son amie Anne Charton-Demeur à Ville-d'Avray, en C 34, « l'impression de bien-être qu'il exprime dans sa lettre à sa nièce Nanci en racontant cette promenade en forêt est telle que ses mots « tout heureux, tout aise » font écho — fût-ce inconsciemment — à la première mélodie des Nuits d'étéB 44 ».
En 1868, épuisé par sa dernière tournée de concerts en Russie, à Saint-PétersbourgC 35 et à MoscouC 36, et après plusieurs attaquesB 45 qui l'ont paralyséC 37, lui ont fait progressivement perdre la mémoireB 46 et l'usage de la paroleC 38, « un jour — raconte George Osborne — il prit l'album de Mme Charton-Demeur et écrivit le refrain, paroles et musique d'Absence : « Reviens, reviens, ma bien-aimée ». Mais lorsqu'on venait lui rendre visite, même s'il s'asseyait à moitié pour saluer ses hôtes, il ne pouvait que sourire. Au début de mars, il sombra dans le comaB 47 ».
Le compositeur meurt le C 39. Le suivant, le critique du Temps observe que « la personne de Berlioz n'a pas été moins maltraitée que sa musique, ce qui n'est pas peu dire129 », et « recommande particulièrement les six mélodies réunies sous le titre Les Nuits d'été127 ».
Une œuvre déconsidérée
Silence des contemporains
En 1852, Joseph d'Ortigue présente Les Nuits d'été comme « le recueil où M. Berlioz a fait preuve de plus d'invention et d'originalité (d'autres diront d'excentricité)29 ». Claude Ballif souligne l'audace de ces mélodies qui « sortent carrément du cadre larmoyant de la sensibilité d'un salon cultivé où se côtoyaient sans se reconnaître des Madame Bovary et des Tartarin de Tarascon46 ! » Aucune interprétation du cycle complet n'est réalisée au XIXe siècle130. En 1886, Oscar Comettant considère cette œuvre, que l'on ne présente « dans aucun concert », comme « un recueil dont beaucoup de musiciens eux-mêmes ignorent jusqu'au titre131 ».
Dans le post-scriptum de ses Mémoires — rédigé en 1856132, après l'achèvement des Nuits d'été — le compositeur doit encore répondre aux accusations de « faire de la musique sans mélodie » :
« J'ai toujours soin de mettre un vrai luxe mélodique dans mes compositions. On peut parfaitement contester la valeur de ces mélodies, leur distinction, leur nouveauté, leur charme, ce n'est pas à moi qu'il appartient de les apprécier mais nier leur existence, c'est, je le soutiens, mauvaise foi ou ineptie. Seulement ces mélodies étant souvent de très-grande dimension, les esprits enfantins, à courte vue, n'en distinguent pas la forme clairement133. »
Dix ans après la publication des Mémoires, Léon Reuchsel étudiant « le rôle de la mélodie, du rythme et de l'harmonie dans la musique134 » reproche à Berlioz d'avoir « profondément accentué dans l'école française la tendance au romantisme. Il est vrai aussi que le domaine de l'art s'est toujours élargi par le dédain des règles connues135 ». Selon lui, « pour qu'une innovation soit admise, il faut qu'elle ait un autre mérite que celui de contrarier les règles établies, il faut qu'elle puisse devenir règle à son tour. Berlioz a méconnu ce principe, et c'est pour l'avoir méconnu qu'il est devenu, en France, le pendant de Wagner en Allemagne136 ».
Romain Rolland, au début du XXe siècle, cite le plaidoyer de Berlioz137 et s'étonne de ce qu'« on ne voit pas assez qu'il fut, de tous les musiciens du XIXe siècle, celui qui eut au plus haut degré le sens de la beauté plastique. Mais reconnaît-on davantage qu'il fut un des mélodistes les plus suaves et les plus abondants138 ? » Justifiant le mot de Heine, qui l'appelle « un rossignol colossal, une alouette de grandeur d'aigle139 », « on peut dire qu'il fut un des plus grands élégiaques de la musique140 ».
Or, dans cette « liberté de mélodie141 », « les phrases les plus fréquentes sont celles de douze, seize, dix-huit, vingt mesures. Chez Wagner, celles de huit mesures sont rares, celles de quatre plus fréquentes, celles de deux encore plus ; et les plus fréquentes de toutes, celles d'une mesure142 », qui se prêtent le mieux au Leitmotiv143. Au contraire, les mélodies de Berlioz « se conforment à l'émotion, au point de rendre les moindres tressaillements de la chair et de l'âme — avec des empâtements vigoureux et un subtil modelé, une brutalité grandiose de modulations et un chromatisme intense et brûlant, des dégradations impalpables d'ombres et de lumières, d'imperceptibles frissons de la pensée, comme des ondes nerveuses qui parcourent tout le corps144 ».
Selon Frits Noske, la fin du Second Empire et la Troisième République marquent l'avènement de « la mélodie bourgeoise », où l'opinion dominante assure que « les meilleurs morceaux de Berlioz et de Liszt étaient destinés au chanteur professionnel et non à l'amateur. Celui-ci, même s'il avait conscience de leur valeur artistique, se heurtait encore à des difficultés techniques insurmontables145 ».
Critiques
Le pianiste et musicologue britannique Graham Johnson considère que « l'importance du rôle joué par Berlioz en tant que compositeur de symphonies et d'opéras n'est plus remise en doute, mais ses mélodies ont toujours fait l'objet de controverses146 ». Pour les critiques des années 1940-1950, « Berlioz ne possède pas ce que l'on est en droit de nommer une nature de mélodiste147 ». Émile Vuillermoz148, « conservateur impénitent149 », et Bernard Gavoty, sous le pseudonyme de Clarendon150, émettent un jugement franchement hostile :
« J'admire l'homme qui a eu autant d'audace et d'imagination, mais j'abomine la manière dont il a exploité l'une et l'autre. Je hais le langage musical de Berlioz, j'exècre ses thèmes mal équarris, pauvres d'accent, ses harmonies banales et incorrectes, son discours qui n'est sauvé que par le mouvement et la couleur, je honnis ses mélodies d'une incroyable platitude151… »
En 1954, Frits Noske s'appuie sur la version avec piano pour justifier que « ce ne fut pas seulement le goût de l'époque qui barra la route à une juste appréciation des œuvres vocales de Berlioz, mais aussi l'inefficacité de ses accompagnements. Il est curieux de constater à quel point l'auteur du Traité d'instrumentation et d'orchestration a maltraité ses parties de piano. Aujourd'hui encore, les « batteries » anti-pianistiques de Sur les lagunes sont cause de ce que les mélodies berlioziennes ne figurent que rarement sur les programmes de concerts152 ».
Parmi tous les enregistrements d'œuvres de Berlioz réalisés avant 1950153, Jacques Barzun ne peut citer que deux interprétations partielles des Nuits d'été — Absence et Le Spectre de la rose par Maggie Teyte pour HMV, et Villanelle par Ninon Vallin pour Pathé-Marconi, accompagnées au piano154 — et réclame de nouveaux disques155 : « Avec leurs inégalités, leur caractère un peu insolite et leurs grandes beautés, les mélodies de Berlioz mériteraient sans doute un sort moins effacé147 ». Le premier enregistrement du cycle complet n'est réalisé qu'en 1951, par Suzanne Danco et l'orchestre symphonique de Cincinnati dirigé par Thor Johnson156.
Les jugements négatifs de chanteurs réputés comme Hugues Cuénod qui dédaignait les mélodies de Berlioz pour leur « manque d'élégance146 », ou de Pierre Bernac qui soutenait que « leur grandiloquence romantique était certainement opposée aux caractéristiques essentielles et aux mérites plus subtils de la mélodie française », sont « typiques d'une génération157 ». En 1968, Claude Ballif mentionne les critiques contre Berlioz compilées dans le Lexicon of Musical Invective (« Lexique d'invectives musicales ») de Nicolas Slonimsky, pour « ceux qu'intéresse ce genre de littérature158 ».
Préjugés
René Dumesnil « ne reconnaît que Berlioz comme véritable musicien romantique : lorsque l'on dépouille la musique de Berlioz de tous ses attributs, que l'on fait abstraction de ses programmes, de ses textes littéraires et même de celui qui l'a créée, elle n'en reste pas moins romantique. Le romantisme des autres ne tient pas aussi facilement devant un tel démaquillage159 ». Pour cette raison, Henry-Louis de La Grange voit en Berlioz et Mahler « deux têtes de turc de la critique. Comme l'auteur de la Fantastique, celui du Chant de la Terre ne pouvait susciter que malentendus et controverses160 » :
« On a souvent reproché à Berlioz, et bien à tort, de manquer d'invention mélodique. Comme le prouvent Les Nuits d'été et bien d'autres de ses œuvres, il était capable d'écrire les mélodies les plus captivantes, mais il choisissait souvent d'autres moyens de produire l'effet musical qu'il recherchait. Qui plus est, son génie propre l'incitait à fuir la symétrie au profit d'une sorte de prose musicale qui n'a pas d'équivalent au XIXe siècle, et dont le modernisme continue à nous étonner161. »
En 1977, Antoine Goléa tient à opposer « l'humble et mystérieux Schubert » et « le tumultueux, le fascinant Berlioz162 », pour souligner les « paradoxes et malentendus » autour du romantisme163 :
« Devant l'introverti, tout entier plongé dans son œuvre, au physique insignifiant et à la vie humble et monotone, voici le fulminant héraut du romantisme, le combattant d'un art nouveau, le fracassant annonciateur et réalisateur d'un monde sonore dont les ondes se répercuteront loin dans l'avenir, et jusque dans les révolutions les plus bruyantes et les plus radicales du XXe siècle. Devant l'homme et le créateur qui ne se plaignait jamais, qui se contentait de tout, que seul son travail préoccupait et dont le génie suprême était tout entier contenu dans la grâce profonde d'un Lied de trois minutes, voici le revendicateur éternel, clamant aux quatre coins de l'horizon ses droits qu'il estimait toujours foulés aux pieds, qui ne rêvait, dans la vie comme dans la musique, que plaies et bosses, qui distribuait les coups avec rage et les encaissait avec la colère des mauvais joueurs qui ont du mal à retrouver leur équilibre après un combat perdu164. »
Il est remarquable que Goléa ne mentionne aucune des mélodies de Berlioz, en analysant son œuvre symphonique165 et lyrique166. Comme Schubert, il avait pourtant « deux dieux, et c'étaient les mêmes : Goethe en poésie et Beethoven en musique167 ». Du reste, Berlioz admirait la Grande Symphonie en ut majeur de SchubertB 48 et devait proposer par la suite un arrangement du Roi des aulnes pour baryton et orchestreB 49.
Berlioz et Schubert « ont tous deux contribué à introduire ce nouveau terme musical168 » de mélodie, dès la publication des Mélodies irlandaises en 1830C 40.
Une œuvre reconsidérée
Dans un article du Monde paru le , Gérard Condé propose l'analyse suivante : « Il y a des idées qui exigent d'être traitées en grand. Elles n'en sont pas moins subtiles pour autant. En dépit des préjugés généreusement répandus, il faut donc compter la délicatesse et le raffinement des détails parmi les aspects essentiels de l'esthétique berliozienne. Sans eux, ses œuvres grandioses sembleraient de plus en plus creuses au fur et à mesure qu'on s'approche pour les examiner, alors que c'est le contraire. Sans eux, il n'aurait jamais pu écrire le cycle des Nuits d'été, dont ses plus violents détracteurs reconnaissent la grâce et l'économie. On ne s'improvise pas miniaturiste. Le véritable sujet d'étonnement serait plutôt qu'un musicien dont l'instrument familier était la guitare ait pu édifier de véritables cathédrales sonores169 ».
De fait, « l'image persistante d'un Berlioz symphoniste exclusif, unique apôtre de la couleur orchestrale, est un cliché qui ne résiste pas à ce simple constat : toutes les œuvres de Berlioz, en dehors d'Harold en Italie et des ouvertures, font intervenir la voix », si l'on considère que la Symphonie fantastique « s'intègre à un ensemble comportant du chant et de la déclamation170 ».
En 2019, Bruno Messina offre encore un portrait nuancé, à l'occasion du cent-cinquantième anniversaire de la mort du compositeur :
« N'entend-on pas toujours la même chose ? Berlioz et le grand orchestre moderne ! Berlioz et les grands rassemblements festivalesques ! Berlioz et les effectifs gigantesques, les milliers de chanteurs et de musiciens, la démesure, le grandiose, le « ninivite » même, pour reprendre un mot qu'il utilisait ! Ou encore, évidemment, Berlioz aux colères légendaires et aux déclarations fracassantes ! Certes, tout cela est vrai. Mais le réduire à ses effets les plus spectaculaires serait bien mal le connaître et l'apprécier. Berlioz est aussi un grand timide (Saint-Saëns en a témoigné), un homme tendre, souvent fragile, le cœur brisé. Berlioz est un compositeur délicat comme le prouvent les Nuits d'été ou L'Enfance du Christ, entre autres pages magnifiques. Berlioz est aussi l'homme de la mélodie française et des petites formes (trios, quatuors et quintettes de jeunesse qu'il a ensuite perdus ou détruits). Berlioz est un compositeur de l'intime171. »
Pour « l'intense émotion et la poésie qui s'en dégage », Yves Gérard accorde aux Nuits d'été l'« aura des Wesendonck-Lieder de Wagner et des Quatre derniers lieder de Richard Strauss172 ».
Analyse
Structure cyclique
En 1954, Frits Noske ne considère pas Les Nuits d'été comme un cycle de mélodies, mais comme « une suite de morceaux réunis sous un titre plus ou moins vague173 ». L'unité du recueil peut sembler « répondre plus à une exigence de l'esprit qu'à une conception pratique en vue d'une exécution intégrale », puisqu'elle réclame différentes tessitures174.
Jean-Michel Nectoux considère que l'unité des Nuits d'été « est d'abord poétique, les diverses nuances du sentiment amoureux en sont le sujet presque unique : heureux (no 1), ironique (no 6), mais surtout malheureux (no 3, 4, 5). Les images récurrentes de la solitude, de la souffrance, de la mer et de la mort sont caractéristiques175 ». La Villanelle et L'Île inconnue « sont deux poèmes et mélodies à deux personnages, et forment un portique diurne encadrant une nuit profonde, ou quatre présence de la nuit176 ». Or, dans ce « cœur nocturne des mélodies no 2 à 5 se plaint en vain un être de toute solitude, prenant à témoin un univers insensible ou, seule exception émanant de cet au-delà : le spectre177 ».
Du point de vue de la forme musicale, le cycle peut être divisé « en deux moitiés symétriques, évoluant du plus simple (no 1. Villanelle / no 4. Absence) au plus complexe (no 3. Sur les lagunes / no 6. L'Île inconnue) après un épisode explicitement nocturne et fantomatique (no 2. Le Spectre de la rose / no 5. Au cimetière)178 ».
La forme en arche des Nuits d'été, fréquente dans l'œuvre de Berlioz179, est signifiée par le tempo plus rapide des premier et dernier mouvements180, L'Île inconnue apportant une conclusion musicalement satisfaisante181 et une variation sur les lignes mélodiques des pièces précédentes : dans les refrains des no 3 et 6, la voix suit la même courbe descendant de la tonique (Fa aigu) à la dominante (Do), mais « en changeant soudain de direction pour aboutir à la quinte supérieure au lieu de la quarte inférieure182 » :
La succession de quatre pièces lentes pourrait engendrer « une monotonie certaine125 », mais « l'un des aspects les plus remarquables du cycle tient à la variété obtenue dans cette séquence centrale183 ». Julian Rushton considère que « chaque mélodie est parfaitement achevée comme pourrait l'être une composition indépendante, comme La Captive. Cependant, le tout est supérieur à la somme des parties, tant Berlioz a organisé les pièces avec soin184 ». Il convient de s'intéresser aux relations tonales entre les six mélodies185.
Les no 2, 3, 5 et 6 forment un carré sur le cycle des quintes, révélant un jeu de tonalités relatives majeures-mineuresnote 6 où « les no 1, 2 et 4 sont écrites dans des tonalités diésées, les no 3, 5 et 6 plutôt dans des tonalités bémolisées, la mélodie no 5 entretenant une ambiguïté ré majeur / ré mineur184 ».
Mélodie et harmonie
Les Nuits d'été constituent « manifestement un cycle, non pas narratif comme La Belle Meunière de Schubert mais, annonçant ceux de Mahler, comme un regroupement de pièces séparées autour d'un sujet commun, où les transitions d'une mélodie vers une autre sont soigneusement agencées186 ». L'harmonie évolue de fa mineur vers do majeur, dans les dernières mesures de Sur les lagunes — la tonique tenue au chant puis aux altos et contrebasses, avec une sixte sol-mi répétée en doubles croches aux violoncelles — et Absence s'ouvre sur l'accord parfait de la tonalité la plus éloignée : fa dièse majeur187. Cependant, do (« Reviens ») a été préparé, par enharmonie, grâce à ré (« Ah! ») et le fa aigu est annoncé par un sol à l'octave inférieure (« sur la mer »)188.
Julian Rushton identifie un motif récurrent — montant et descendant par degrés conjoints sur une tierce majeure ou mineure189 — qui parcourt l'ensemble des mélodies187. C'est ainsi que le fa majeur du no 6, altéré par moments, rejoint le fa mineur du no 3190 :
Berlioz « plie l'harmonie à la fantaisie de la mélodie, et non l'inverse77 ». Harry Halbreich s'émerveille du « génie mélodique du compositeur, dont il n'existe guère de témoignage plus saisissant, et qui se trouve sans cesse exalté par des harmonies d'un raffinement subtil et par une orchestration qui est un miracle de transparence et d'économie191 ». Au cimetière, « incroyablement moderne pour son époque192 », accompagne « parfaitement le glissement presque imperceptible de chaque voix » en s'autorisant « les modulations les plus inattendues : l'harmonie des couleurs tend à remettre en cause l'harmonie fonctionnelle193 ». Les strophes de la Villanelle ne cessent de moduler « comme si le musicien disposait d'une réserve inépuisable de possibilités pour harmoniser une suite de 4 ou 5 notes77 ».
Poétique musicale
Nocturnes
Roland de Candé trouve le titre du recueil « difficile à comprendre », se refusant à voir aucune « trace de nuit ni d'été dans ces six mélodies194 ». Cependant, Claude Ballif suggère qu'« il y aurait une étude à faire sur Berlioz et la nuit158 ».
Michel Guiomar trouve « symptomatique, à l'égard du titre au pluriel, que Berlioz ait modifié le texte de Gautier : « toutes les nuits » au lieu de « toute la nuit », dans Le Spectre de la rose195 ». Le nocturne permet « l'irruption en contre-nuit, comme Juliette, blanche sur son balcon, des figures du songe196 ».
Le « paysage du Cimetière » suggère que « la musique est devenue le vrai personnage. Ce n'est plus la parole, même la parole intensifiée par la musique qui crée l'événement de ces Nuits, mais la musique comme être et spectre : l'univers orchestral et vivant charnellement uni à la voix177 ». Cette « aura nocturne et funèbre nimbe Les Nuits d'été comme Roméo et Juliette, Les Troyens, le Requiem et Tristia197 ».
Dans une lettre du à la princesse Carolyne de Sayn-WittgensteinB 50, Berlioz commente la composition du septuor qui précède le duo nocturne des Troyens : « Il me semble qu'il y a quelque chose de nouveau dans l'expression de ce bonheur de voir la nuit, d'entendre le silence et de prêter des accents sublimes à la mer somnolenteB 51 ». L'orchestre des Nuits d'été déploie « cette légèreté dans la plénitude que Berlioz s'apprête à porter au théâtre avec la « Nuit d'ivresse et d'extase infinie » des Troyens et le duo nocturne de Béatrice et Bénédict57 ».
En 1905, Léon Deubel publie un sonnet intitulé La Musique, qu'il dédie à son ami Edgard Varèse198 et qui s'achève sur un appel caractéristique du futur compositeur de Nocturnal199 :
Berlioz ! Comme l'appel d'un monde antérieur
Sous le porche désert de l'insondable nuit200.
La nuit est encore « le lieu des échanges entre les éléments : l'Air et la Terre, éléments d'osmose — le Feu et l'Eau, antagonistes et tragiques. Elle organise les espaces musicaux » dans l'œuvre de Berlioz201.
L'eau et les rêves
En s'appuyant sur les travaux de Gaston Bachelard202, Michel Guiomar applique aux images musicales des œuvres de Berlioz « les liens archétypiques entre les images littéraires et l'imagination matérielle en ses quatre éléments : le Feu, l'Eau, l'Air et la Terre203 ».
Berlioz est un compositeur de « marines, tour à tour sombres (Sur les lagunes), mélancoliques (la chanson des matelots dans Benvenuto Cellini, celle d'Hylas dans Les Troyens) ou ironiques (L'Île inconnue)204 ». Il décrit la partition de son dernier opéra comme « une mer de musique205 ». La mer « a toujours été l'image de ses rêves206 », et l'horizon « la réconciliation de la mer et du soleil204 ».
L'Île inconnue, dont le poème « anticipant celui de Baudelaire, est une invitation au voyage194 », devient « un symbole d'isolement, dont les eaux juvéniles révèlent à la fois le désir de s'y perdre et la solitude du héros207 ». Les Troyens, « opéra du temps cyclique », sont emportés par « le naufrage qui scelle l'alliance de la mer et de l'errance, bercés par l'illusion d'un élan mais s'éloignant de la rive sans pouvoir s'orienter208 ».
Sur les lagunes, « où l'on retrouve cette alliance de l'eau et de la mort désirée, ou plutôt de la morte et de l'eau à laquelle le pêcheur chante sa douleur, comme à une confidente209 » traduit un « complexe d'Ophélie, tel qu'il est décrit dans L'Eau et les Rêves, et qui se retrouve dans La Mort d'Ophélie » pour chœur et orchestre207.
L'ostinato du cor exprime « les mouvements perpétuels et discrets qui confèrent une vie frissonnante à la lagune parcourue de barques silencieuses210 » et les « rythmes de barcarolle finissent par se fondre dans l'évocation du mouvement immuable des vagues qui nuancent l'épilogue de ce cycle d'amour et de mort119 ».
L'air et l'envol
Joël-Marie Fauquet relève dans l'œuvre de Berlioz « une prédilection pour l'air, l'air dans tous ses états, celui qui fait chanter la harpe éolienne, rougeoyer la fonte de Persée, gonfler la voile qui emmène la jeune belle à l'Île inconnue ou Énée et ses compagnons en Italie. L'orchestre berliozien excelle à déchaîner ces « coups de vent » dont la force dynamique est souvent ascensionnelle211 ».
Michel Guiomar reprend le rêve de vol défini dans L'Air et les Songes212 pour analyser les images aériennes dans l'œuvre de Berlioz « se saisissant de l'idée de pulsation et de vibration213 ». En termes de « psychanalyse des éléments, à la manière de Bachelard, Berlioz — comme Nietzsche, et contrairement à Wagner — devrait être dit aérien214 ».
Le lamento Sur les lagunes « bouleversant, où tous les accents sont justes » selon Henry Barraud (« La colombe oubliée pleure, pleure et songe à l'absent215 »), use d'« une métaphore pour exprimer les souffrances de l'amant, mais annonce la colombe réelle Au cimetière, dont le chant motive l'expression « sur les ailes de la musique » accompagnée d'un arpège ascendant suivi d'un soupir78 ». Dans ses Mémoires, Berlioz nomme l'amour et la musique « les deux ailes de l'âme. Malgré la réminiscence platonicienne, l'une des deux a visiblement l'avantage sur l'autre, c'est-à-dire qu'elle est plus puissante et permet d'élever l'âme plus haut. Ce n'est pas l'amour216 ».
Postérité
Pierre-René Serna voit en « Berlioz, dans ce domaine aussi, un inventeur : celui du genre de la mélodie avec orchestre, dont on ne relève aucun exemple avant lui21 », et Jean-Michel Nectoux considère que le cycle des Nuits d'été, son œuvre « la plus importante dans le domaine de la mélodie217 », annonce « avec un demi-siècle d'avance les réussites de Chausson, Ravel, Mahler ou Strauss86 ».
Mélodie française
Charles Gounod.
(1818-1893).Gabriel Fauré.
(1845-1924).Henri Duparc.
(1848-1933).Ernest Chausson.
(1855-1899).Déodat de Séverac.
(1872-1921).André Jolivet.
(1905-1974).
Claude Ballif relève la valeur des Nuits d'été : « Avec ce recueil très important est née la mélodie française : Chabrier, Duparc, Fauré sont déjà annoncés46 ». Dans cette partition, « Berlioz a fait preuve d'un dévouement artistique comme s'il s'agissait de la composition d'un opéra ou d'une symphonie. Tous les liens avec la fade romance sont rompus : la mélodie est devenue un genre sérieux218 ».
Les poèmes de Gautier sont souvent reprisnote 7 : Félicien David met en musique Reviens, reviens, ma bien-aimée d'une manière « sans aucun doute inférieure220 » à l'Absence de Berlioz. Où voulez-vous aller ? (L'Île inconnue221) et le Lamento (Sur les lagunes, sous le titre La Chanson du pêcheur222) sont mis en musique par Gounod, qui « emprunte » également à Berlioz les sujets de ses opéras les plus populaires, FaustB 52 et Roméo et JulietteB 53. Saint-Saëns donne une nouvelle version de La Chanson du pêcheur223, ainsi que Fauré224 qui reprend également Au cimetière191.
L'influence purement musicale des Nuits d'été se retrouve chez Déodat de Séverac, par exemple, dont l'accompagnement de la Ritournelle composée en 1896225 reprend l'accompagnement en accords répétés de la Villanelle226. Dans La Vie antérieure de Duparc, Jacques Chailley relève « ces accords profonds et inattendus qui harmonisent de façon imprévue une note mélodiquement plausible, procédé dont plus tard un Bartók fera son pain quotidien : cela aussi est dans Berlioz227 ».
Bruno Messina considère que « tous les compositeurs, de Saint-Saëns à Messiaen en passant par Duparc, s'inscrivent dans ce genre si spécifiquement soucieux de la langue française228 ». Frits Noske affirme cependant que, « dans les premiers temps, l'influence de Berlioz sur la jeune génération de « mélodistes » fut presque nulle. Il faut attendre Duparc pour trouver un rapport avec le style des Nuits d'été229 ». Plus précisément, la mélodie berliozienne « enjambant la génération qui le suit, rejoint par des innovations prophétiques les maîtres tels que Duparc, Chausson et Fauré147 ». Le Poème de l'amour et de la mer est une œuvre « hantée des mêmes horizons, respirant la même intimité » que Les Nuits d'été, un ton « funèbre, obscur mais insistant, une mélancolie tragique, une Île joyeuse bientôt sombre : tout l'héritage de Berlioz177 ».
Dans l'histoire de la mélodie française, Les Nuits d'été ouvrent la voie aux compositeurs qui « font appel aux poètes de leur temps (Gautier, Hugo, Musset…) et à ceux appartenant au patrimoine poétique français (Villon, Marot, Ronsard…) : Debussy, Ravel, Roussel230,231 ». André Jolivet prend ainsi place « dans une certaine lignée de la musique française, non-conformiste, issue de Berlioz232 ». En 1941, avec Olivier Messiaen, Daniel-Lesur et Yves Baudrier, il organise un concert du groupe Jeune France pour célébrer le centenaire du cycle berliozien233 :
« Ce lyrisme, cette souplesse rythmique, cette écriture modale, ce sentiment dramatique de la mélodie renforcée par le support harmonique — toutes qualités que j'ai estimé devoir dégager de nos œuvres — vous les trouverez dans Les Nuits d'été. Ce recueil fut publié en 1841. C'est un centenaire qui méritait d'être célébré. Dans ces mélodies, Berlioz nous fait pressentir les véritables destinées du chant français. Elles sont le point de départ d'une nouvelle évolution de notre musique vocale de chambre234. »
Mélodie avec orchestre
Richard Wagner.
(1813-1883).Gustav Mahler.
(1860-1911).Richard Strauss.
(1864-1949).Arnold Schönberg.
(1874-1951).Benjamin Britten.
(1913-1976).
Harry Halbreich distingue le cycle des Nuits d'été : « Premier jalon marquant dans l'histoire de la mélodie française, il est aussi le premier en date des grands cycles pour chant et orchestre de la musique européenne191 ». Anthony Girard insiste sur la « texture extrêmement aérée » de ces mélodies, qui « pose les fondements d'une orchestration « à la française », en quête de sensations subtiles que lui souffle le poème. Berlioz n'en abuse pas, cependant, et c'est bien le signe d'une suprême élégance69 ».
Dans les années 1850, Berlioz et Wagner sont « pressés par leur ami commun, Franz Liszt, de se rapprocher au nom de leur solidaire effort de renouveau musical235 ». Aussi peut-on « observer quelques troublantes coïncidences » entre Les Nuits d'été et les Wesendonck-Lieder composés pour Mathilde Wesendonck en 1857-1858236, d'abord pour chant et piano. L'une des mélodies, Traüme (« Rêves »), est orchestrée par Wagner pour un ensemble musical réduit (bois par deux, quatre cors, trompette soliste et cordes237) que Felix Mottl retient pour orchestrer l'ensemble du cycle238. Les Wesendonck-Lieder sont « les seuls vrais lieder composés par un Wagner parvenu à maturité237 ». Mottl est également le premier chef d'orchestre à organiser un « Cycle Berlioz », assurant ainsi la première audition intégrale des Troyens en 1890239.
Henry Barraud considère que la Villanelle fait « le plus volontiers penser » à certains lieder d'un autre musicien allemand « qui ne devait venir au monde que trente-deux ans plus tard : Richard Strauss240 ». Le futur compositeur du Chevalier à la rose découvre Les Nuits d'été en 1890, grâce à Cosima Wagner241. L'œuvre de Berlioz est à l'origine d'une « tradition » de mélodies pour chant et orchestre en Europe centrale, où s'illustrent Strauss, Mahler, Zemlinsky, Hugo Wolf et Franz Schreker242. Les Lieder eines fahrenden Gesellen (« Chants d'un compagnon errant ») et le recueil Des Knaben Wunderhorn (« Le Cor merveilleux de l'enfant ») de Mahler se présentent, comme Les Nuits d'été, dans deux versions avec piano ou orchestre « avec la même authenticité243 ». C'est ainsi qu'Alban Berg compose les Altenberg Lieder en 1912244, et orchestre en 1928 ses Sieben frühe Lieder (« Sept Lieder de jeunesse ») composés entre 1905 et 1908245.
En analysant le Pierrot lunaire d'Arnold Schönberg, en 1912, Ferruccio Busoni considère « la déclamation modelée rythmiquement et mélodiquement, souvent affectée, à certains endroits pourtant presque comme un nouvel instrument, charmant, authentique et expressif. L'origine de ce moyen — souvent original, parfois seulement en apparence — peut être établie. J'eus une impression semblable lorsque j'entendis la mélodie de Berlioz « Ma belle amie est morte », des Nuits d'été, pour la première fois246 ». L'auteur du Doktor Faust, « éminent berliozien » comme Mahler247, déclare que, plutôt que Wagner, « c'est Berlioz qui avait ouvert la voie aux générations futures248 ».
Après avoir assisté à la première audition, le , des Trois poèmes de Mallarmé de Maurice Ravel, des Trois poésies de la lyrique japonaise d'Igor Stravinsky et des Quatre poèmes hindous de Maurice Delage, le compositeur Gaston Carraud met en perspective ces partitions composées « à l'imitation d'un ouvrage de M. Schönberg qui a fait grand bruit au-delà du Rhin, avec l'accompagnement d'un petit orchestre de chambre249 », dans sa critique du quotidien La Liberté :
« Il est assez curieux que, par l'excessive et presque unique importance qu'elle accorde à toutes les petites découvertes matérielles de dispositions sonores et de « trucs » instrumentaux, cette école musicale se rattache au même Berlioz qu'elle roule communément dans la boue249. »
Ian Bostridge témoigne de l'influence des mélodies de Berlioz sur celles de Britten : en écoutant les enregistrements des Nuits d'été par Janet Baker, le compositeur du Nocturne « ne demandait pas mieux que d'écrire quelque chose comme ça250 ».
Autour des Nuits d'été
Discographie
Les Nuits d'été ont fait l'objet d'« une multitude d'enregistrements251 ». Comme les musicologues, les interprètes révèlent les mérites de l'œuvre : pour Véronique Gens, ces mélodies « sont l'équivalent des lieder de Schubert, Schumann ou Wolf à la fois par la beauté de la musique et la contribution à la vie, à l'étoffe de la langue252 ». Susan Graham attire l'attention sur Le Spectre de la rose et Sur les lagunes, « de vrais airs d'opéra, qui traitent la mesure de manière inhabituelle, prennent des chemins rythmiques toujours imprévus. La Villanelle paraît toute simple, mais Colin Davis m'a fait comprendre que cette mélodie n'était pas seulement une promenade. C'est aussi une pièce très érotique, à condition de ne pas précipiter le tempo253 ».
Régine Crespin reconnaît que l'enregistrement des Nuits d'été sous la direction d'Ernest Ansermet, en 1963, est « le seul de mes disques que j'aime vraiment254 ».
Au début du XXIe siècle255, « la discographie consacrée à Berlioz reste ouverte », mais « les lacunes sont de plus en plus rares256 ». Plusieurs versions intégrales « remarquables » des Nuits d'été sont disponibles257, ce qui en fait l'une de ses partitions les plus appréciées : en 2002, le département audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France compte cent notices des Nuits d'été258, soit quatre fois moins que pour la Symphonie fantastique, « la partition berliozienne la plus connue259 ». En 1992, l'intégrale des Nuits d'été se trouvait pourtant programmée 13 fois, soit seulement une programmation de moins que la Fantastique260. L'audience de ce recueil de mélodies a « peut-être » bénéficié de son utilisation « sur la bande-son de L'Accompagnatrice de Claude Miller261 ».
Cinéma
Certaines des mélodies du recueil ont été reprises comme musique de film. On trouve ainsi Absence dans la bande-son de La Symphonie fantastique — film de Christian-Jaque (1942) sur la vie de Berlioz avec Jean-Louis Barrault dans le rôle du compositeur262,263 — Villanelle et Le Spectre de la rose dans L'Accompagnatrice de Claude Miller (1992264) et dans Perduto amor de Franco Battiato (2003265), cette dernière mélodie encore dans Les Nuits d'été de Mario Fanfani (2014266).
Littérature
En 1998, le roman Béatrice interdite de Guy Baartmans offre le dialogue suivant, dans une scène de séduction où sont mentionnées Les Nuits d'été :
« Pourquoi me parles-tu de Berlioz ? Je ne connais rien de lui, juste son nom.
— Aucune importance, ça fait partie de la culture générale et du romantisme que tu m'as dit aimer tant. J'en parle comme ça, peut-être à cause des nuits d'été. Elles l'ont toujours magnifiquement inspiré267. »
Dans son roman Nachtzug nach Lissabon (2004, traduit en français sous le titre Train de nuit pour Lisbonne en 2008, et adapté au cinéma en 2013), Pascal Mercier utilise Les Nuits d'été et d'autres mélodies de Berlioz comme des Leitmotive littéraires268.
En 2006, dans son essai Du sommeil aux autres joies déraisonnables, Jacqueline Kelen observe en épilogue : « Pendant que j'écrivais sur les sommeils, j'ai eu un besoin impérieux, inexplicable, d'écouter des lieder, des madrigaux, des mélodies et des oratorios — Fauré, Schumann, Wolf, Strauss, Chausson, Monteverdi, Schubert, Berlioz269 ». C'est au compositeur romantique français qu'elle accorde le dernier mot : « L'amour ne peut pas donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l'amour. Berlioz écrit cela dans ses Mémoires270. Berlioz dont les admirables Nuits d'été m'ont accompagnée et inspirée271 ».
Notes et références
Notes
- Cinq mélodies sont conservées en manuscrits autographes : Villanelle (ms.1179), Absence (ms.1180), Le Spectre de la rose (ms.1181), L'Île inconnue (ms.1182) et Au cimetière (ms.1183). La partition manuscrite de Sur les lagunes est considérée comme perdue1.
- Dans ses Mémoires, Berlioz revient sur l'« apparition de Shakespeare », qu'il découvre avec Harriet Smithson dans le rôle d'Ophélie : « Shakespeare, en tombant ainsi sur moi à l'improviste, me foudroya. Son éclair, en m'ouvrant le ciel de l'art avec un fracas sublime, m'en illumina les plus lointaines profondeurs47 ».
La note la plus grave des Nuits d'été, fa au-dessous de la portée de sol, est chantée ad libitum sur le mot « linceul ». Les mezzo-sopranos restent souvent sur do .
- La première représentation de Benvenuto Cellini a eu lieu le C 7.
- David Cairns prénomme « la contralto locale » du théâtre ducal de Gotha Anna-Rose FalconiB 6.
- La mélodie no 2 est en si majeur. Si mineur est la tonalité relative de ré majeur (no 5). Ré mineur est la tonalité relative de fa majeur (no 6). Fa mineur (no 3) est la tonalité relative de la bémol majeur qui est, par enharmonie la /sol , la tonalité relative de si majeur (no 2).
- Les poèmes de La Comédie de la mort retenus dans Les Nuits d'été ont été repris par de nombreux autres compositeurs : Villanelle, d'abord écrite pour Xavier Boisselot, est mise en musique au moins 23 fois. Le Spectre de la rose est repris 8 fois, Sur les lagunes 20 fois, Absence 16 fois, Au cimetière 3 fois seulement, L'Île inconnue 18 fois219.
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Liens externes
- Ressources relatives à la musique
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- Autorités Canadiana
- Bibliothèque nationale d’Australie
- WorldCat
- Anne-Charlotte Rémond, « Musicopolis : 1841, Hector Berlioz publie ses Nuits d'été » [archive], sur francemusique.fr, , (podcast, 25 min).